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#11 : Les fourmis

Cela fait maintenant 3 semaines que Mme A est prise en filature. A chaque descente d'immeuble le gardien lui rappelle les règles. A chaque sortie, elle sent une atmosphère étrange d'un lundi matin du mois d'août, alors qu'il est 10h en mars. Elle voit des regards suspicieux et distants.

A chaque sortie, les commerçants lui rappellent qu'il ne vaut mieux pas sortir, qu'elle se met en danger, ou pire qu'elle met les autres en danger. Que de suspicion ! Furieuse, Mme A ne manque jamais d'appeler sa fille, pour lui exprimer son incompréhension, paniquée :

"Je suis suivie, sans cesse... C'est eux, je le sais, c'est eux... Je ne suis plus en sécurité ici."

Comment ne pas se sentir persécuté quand on se sent épié ? Papier d'identité, justificatif de sortie, rappels à l'ordre...

"Mais j'ai besoin de sortir moi, enfin, laissez-moi donc tranquille !"

Le handicap cognitif de Mme A ne lui permet pas de la raisonner durablement. Ce qu'il reste du discours et de ses sorties, c'est l'angoisse qu'elle perçoit, les remarques des autres, aussi bienveillantes soient-elles. Ce sont les impressions qui lui restent. Alors le cumul de tous ces éléments mis bout à bout font monter la tension...

Son gardien m'appelle, en colère :

"Faites quelques chose, depuis 3 semaines, c'est pire. Madame déambule sans cesse, elle a des comportements qui perturbent le calme, et elle ne respecte pas les règles."

J'essaie de lui expliquer que Mme A a effectivement besoin de bouger. C'est vital. S'aérer, s'oxygéner, sortir de ses pensées... Si elle marche sans but visible, c'est sans doute pour se décharger physiquement et aussi psychiquement. Et puis finalement, quand les fonctions cognitives ne sont plus là, d'autres, aussi essentielles, prennent la place.


Et si ce besoin de bouger répondait à un élan vital, naturel, instinctif ?

Ne pas rester sédentaire, rester en recherche, actif, acteur de sa journée, se mobiliser, prendre l'initiative de sortir, choisir la direction.

Mais ça peut être agaçant d'être interrogé sur la raison de ses mouvements, surtout quand on ne la connait pas, ou plus, soi-même...


Nous avons donc organisé des appels quotidiens entre moi, Lya l'aide à domicile, et des initiatives d'appels de voisins, de lecteurs ou de la mairie. Chaque appel est l'occasion de

rassurer, de redire, de raconter, de s'évader, de se dégourdir les jambes pour en faire partir les fourmis.





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